Il est peu probable que vous n’ayez jamais entendu parler de minimalisme, concept très en vogue ces derniers temps. Utilisé à toutes les sauces, de la musique à l’art culinaire en passant par la haute couture, le phénomène minimal a pris une ampleur bien réelle. Mais que se cache-t-il derrière cette tendance ?
Au début du XXème siècle, l’architecte viennois Adolf Loos, dans son pamphlet contre l’ornement, incarne déjà une position ‘minimaliste’ soutenant que les réalités et conditions de production de son époque ne sont plus propices à l’abondance, mais plutôt à un retour vers une efficacité et une rationalité de la construction. Le courant peut donc être compris comme étant une manière de concevoir et de réaliser dans le souci de l’épure et de l’économie de moyens. D’ailleurs, le minimalisme en architecture a bien quelques traits en commun avec les constructions religieuses: John Pawson comme Alvaro Siza, architectes pratiquant une forme de minimalisme, ont été profondément influencés par l’Abbaye du Thoronnet construite entre les XII et XIIIèmes siècles par et pour des moines cisterciens (à ce sujet, on vous conseille la lecture des Pierres Sauvages de Fernand Pouillon).
Mais c’est Mies van der Rohe qui formule le premier slogan du minimalisme architectural : le fameux « Less is more », toujours cité de nos jours. L’architecte viennois fut toutefois précédé par Louis Sullivan, un américain qui dès 1896 incarna une volonté de retour à la vérité constructive, à l’accord entre une fonction et sa forme. On voit là combien des valeurs morales peuvent être attachées à l’architecture.
Une recherche du vrai, la volonté de ne rien cacher, une démarche éthique sous-tend donc la pratique minimaliste. L’idéal de la matière en accord avec une forme simple et harmonieuse fait aussi référence aux ruines romaines, en tant qu’idéaux ‘éternels’ : certains artistes du courant minimaliste qui émerge dans les années 60 s’en réclament explicitement. Ce mouvement a signé le retour dans le monde de l’Art à des principes de simplicité et d’essentiel, qui se traduisent dans le travail d’artistes comme Franck Stella, Donald Judd ou Carl André, récemment exposé au Musée d’Art Moderne de Paris, pour ne citer que les plus connus.
Mais passons maintenant aux six projets que nous vous avons sélectionné pour illustrer ce mouvement… Qui, sans l’ombre d’un doute, continuera de séduire les aficionados pendant encore quelques années !
Maison de John Pawson
Nous avons ici la maison de celui qui peut être considéré comme LE maître du minimalisme, j’ai nommé John Pawson. Cette deuxième maison personnelle est en fait une traditionnelle bâtisse londonienne entièrement refaite de l’intérieure. Les photographies parlent d’elle-même : une architecture blanche, couleur symbolisant la pureté dans notre société occidentale, et dépouillée. Pas de tableaux aux murs, de tapis au sol, ni de mouton de poussière d’ailleurs. C’est presque suspect. C’est carré, c’est limpide, c’est simple, rien ne dépasse si ce n’est les tiges et rameaux de quelques plantes grasses sur la terrasse et au fond de la petite cour. On imagine le soupir de soulagement une fois le battant de porte refermé derrière soi, quittant la frénésie de la mégalopole britannique pour le calme et la paix de cette demeure à l’élégance rare.
Silvestrin & Pawson – Neuendorf Villa
Nous sommes ici à Majorque, en 1991. Rien que ça, ça donne envie, parce que de toute façon, c’était mieux avant, et puis que quand même on ne connaît encore rien de mieux que le soleil pour être de bonne humeur. La villa maintenant. Il s’agit d’un complexe de 600 mètres carrés avec piscine et court de tennis, et jardins, cela va sans dire. Pour arriver à la demeure, comptez les 110 mètres d’un chemin rigoureusement rectiligne et pavé de pierre lisse et blanche. C’est le passage obligé pour pouvoir pénétrer à l’intérieur de cette merveille dont les couleurs des enduits rappellent le paysage rougeoyant et brulé de soleil dans lequel elle s’inscrit. L’usage de matériaux locaux est à relever, notamment les murets de pierre sèches magnifiquement entretenus et des carrelages de céramique traditionnels.
Valerio Olgiati – Laax House
Surprenante demeure que celle-ci, située à Laax, village helvète du canton des Grisons, region montagneuse par excellence. Du fait de la configuration de la parcelle et de réglementation des constructions neuves, la maison a été littéralement divisée en deux parties, reliées par un corridor sous-terrain de 90 mètres de long devenu l’épine dorsale du projet, et lieu de vie de la famille. Ici, tout respire le calme et la retenue – typiquement suisse me direz-vous. Le béton blanc teinté dans la masse des murs, le sol en camaïeux de gris et les ouvertures zénithales invitent à la contemplation et à la méditation. Je vous laisse juger par vous-même, et ne peux que vous inviter à consulter les plans et coupes de ce projet qui réinvente l’espace domestique et le mythe de l’habitat primitif.
Alberto Campo Baeza – Casa Guerrero
« Cette maison est la construction d’une ombre lumineuse ».
Ce sont les mots d’Alberto Campo Baeza pour parler de ce projet. Dans un village du sud de l’Espagne mordu par le soleil, la Casa Guerrero réinterprète une tradition constructive venue des pays d’Afrique du Nord : l’hortus conclusus, l’espace clôt, séparé du paysage et de l’extérieur par un mur épais et peu percé. C’est que dans ce projet tout est tourné vers le ciel, tout en étant fait pour se protéger des chaleurs étouffantes. Nous sommes en Andalousie, les murs ne pouvaient qu’être blancs, de craie, de cette blancheur qui aveugle l’été venu. Pour le reste, le projet est d’une évidence qui ferait pleurer tout étudiant et bien des architectes, car ici la simplicité fait tout: la monochromie, la monomatérialité, la variation de la lumière, la vibration des feuilles des quatre arbres plantés dans le jardin. Tout est anticipé, pensé, et la mise en œuvre est si soignée que la maison semble irréelle. D’ailleurs, ne rêverait-on pas de l’habiter sans rien d’autre qu’un matelas blanc posé sur le sol et d’une carafe remplie d’eau fraîche ?
Aires Matteus – Casa em Leiria
Encore le sud, encore le soleil. Entre Lisbonne et Porto, à Leiria, une maison à la forme archétypale : un carré, un toit en pente, la maison que tous les enfants occidentaux dessinent (oui parce que la maison avec un toit à deux pans n’est pas non plus un archétype mondial hein, ça va l’ethnocentrisme !). Sauf que… Déjà, elle est monochrome. Tout en blanc, pour changer. Ca encore, au Portugal ça va, ce n’est pas trop rare. Sauf que (bis…) il y a des trous carrés dans le jardin. En fait, ça s’appelle un patio.
Et ces patios nous indiquent une division verticale des fonctions de la maison, selon le degré de privacité des espaces et l’heure de la journée à laquelle ils sont normalement utilisés. Pour faire clair, les chambres et salles de bains se situent au niveau sous-terrain, tandis que les pièces de vie sont réunies au-dessus, et donnent sur la ville. Avec pour contre-point lointain la silhouette du château médiéval de Lieria.
Hiroyuki Ito Architects – Logements Tatsumi à Tokyo
Cet immeuble de logements de dix étages à Tokyo est une réussite qui démontre que le minimalisme peut être étendu à du logement autre qu’individuel. Terminé en 2016, le bâtiment affiche sa matérialité de béton brut parfaitement réalisé selon la rigueur japonaise, et expose ses grandes baies comme des tableaux méticuleusement placés sur ses quatre façades. A l’’intérieur, outre la béton apparent, l’architecte joue sur une palette de matériaux traditionnels : bois, tatamis, céramique, rideaux blancs. Ces éléments affichent une harmonie chromatique reposante propre à la ‘palette minimaliste’ : du clair et lumineux pour un intérieur reposant. Par ailleurs, chaque niveau de l’immeuble a été pensé pour accueillir différentes fonctions et permettre au lieu d’évoluer dans le temps : 34 mètres carrés pouvant être utilisés si bien comme studio que comme un cabinet de travail ou un commerce. Les derniers étages sont quant à eux organisés en duplex afin de doubler la surface des appartements.
Atelier Oslo Architectes – Cabane à Nordehov
Retour dans le Nord pour une variation sur le thème de la cabane … Propre à l’exercice minimaliste, puisque pour faire une cabane, on le sait tous (ou, on l’a tous su étant enfant) il ne faut pas grand chose. L’Atelier Oslo a donc pensé cette « cabane » sur les pentes des forêts de Kroksgogen, à quelques mètres des rives du lac de Steinsfjorden (promis là j’arrête avec les noms barbares). Elle semble en bois… mais ne l’est pas ! Le bardage est fait de plaques de basalte qui reprennent l’assemblage traditionnel du bardage bois norvégien. Une réinterprétation astucieuse qui vise surement à diminuer les efforts d’entretien que peut demander un bardage bois exposé à de telles conditions climatiques… Les architectes ont d’ailleurs pris en compte les diverses orientations du vent, qui peut souffler fort dans cette région: cela donne un bâtiment à la géométrie biscornue qui permet toutefois de disposer d’espaces extérieurs exposés différemment et ainsi de toujours bénéficier d’un coin à l’abri ou au soleil. Pratique si l’on sort d’une séance de brushing. L’intérieur par contre est tout en courbes et continuités entre les murs et les plafonds réalisés principalement en bois préfabriqué ; formant des alcôves et des niches d’où contempler le paysage ou le feu crépitant dans le poêle central. Comme toujours chez les scandinaves, les détails sont magnifiquement pensés et réalisés, du passage entre le pavage octogonal de bois à celui de pierre aux montants masqués des baies vitrées en passant par la tringle de rideau nichée dans une veinure du plafond.
Y’a plus qu’à aller voir si par hasard cet havre de paix cabane ne serait pas à louer sur AirBnb, sait-on jamais…
Le petit mot de la fin
Au-delà de ces beaux projets, comment expliquer le retour de flamme de ce courant ? Il est tout à fait crédible que le minimalisme soit une réaction au contexte chaotique de notre époque. Contre la surcharge de travail, la surabondance d’informations, la surconsommation, et la tyranie de la vitesse dénoncée par le philosophe Paul Virilio, un intérieur minimaliste est sensé favoriser un retour à l’intériorité, afin de susciter une certaine paix. Un « art de la parcimonie », donc, qui se retrouve pourtant au cœur d’un style de vie – lui-même sensé montrer, marquer, voire définir notre identité – prôné par nombre de magazines ‘lifestyle’, et autres blogs. Un véritable effet de mode qui ravit les foules, en témoigne le succès du livre La Magie du Rangement de Marie Kondo paru l’année dernière, lequel, soulignons-le au passage, ne fait que vulgariser le danshari, philosophie de vie japonaise dont les trois kanjis qui forment le mot signifient ‘refuser –jeter – séparer’.
A tous ceux qui seraient intéressés par le sujet et souhaiteraient l’approfondir, on conseillera la lecture de ces deux ouvrages de référence: Minimal par John Pawson, et Minimalism : origins d’Edward Strickland.
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