[Californie] Ces maisons d’après-guerre qui n’ont pas pris une ride : Les Cases Study Houses !
Peut-être avez-vous déjà aperçu ce fameux cliché du photographe américain Julius Shulman : deux jeunes femmes, confortablement installées dans une villa moderne, discutant devant le panorama nocturne de Los Angeles. Avec ses baies vitrées du sol au plafond, sa structure métallique et sa toiture plate, cette maison suspendue dans les collines d’Hollywood condense tout ce qui fait acte de modernité en architecture : fluidité entre intérieur et extérieur, ouverture sur le paysage, fonctionnalité, clarté de la structure et des matériaux…
Conçu par l’architecte Pierre Koenig en 1959, la villa n’est pas un cas isolé mais le 22ème projet d’un programme qui cherche à promouvoir, auprès du grand public, une nouvelle manière de concevoir l’architecture domestique : le Case Study House Program. Retour sur ce pan incontournable de l’histoire de l’architecture du XXème siècle, qui fait encore aujourd’hui référence dans l’art de construire.
« Une solution d’urgence pour les soldats américains revenus de Normandie »
Il n’est pas possible d’évoquer les Case Study Houses sans décrire leur genèse. A la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, les milliers de soldats américains de retour du front deviennent des clients potentiels qui souhaitent rapidement acheter des maisons clefs en main et économiques. A l’époque, « Architecture » est un bien grand mot pour ces familles pressées. Un journaliste et critique américain, John Entenza, perçoit le risque que la qualité des logements régresse du fait de la forte production d’après-guerre, mais est convaincu qu’en présentant des architectures de référence, il peut sensibiliser le public à l’importance de vivre dans un environnement bien conçu, bien construit, agréable à vivre. En 1938, il devient rédacteur en chef du magazine « Arts and Architecture » dont la ligne éditoriale gravite autour du design, des arts visuels et de la musique. Intéressé par l’architecture moderne et conscient de l’actualité du problème de relogement, l’éditeur décide alors d’ouvrir une aire d’expérimentation à travers le magazine : il souhaite mettre en lumière une nouvelle architecture domestique en Californie.
« L’éditeur cherche à séduire le public mais aussi à amener l’industrie du bâtiment, encore très traditionaliste, à accepter l’architecture moderne. »
En 1945, il engage pour le compte du magazine « Arts and Architecture » huit agences d’architecture. Chacune des agences est chargée de concevoir une maison selon un programme rédigé par Entenza lui même : réaliser des maisons reproductibles d’environ 100m2, des prototypes modernes et économiques en développant de nouvelles formes, matériaux et techniques. L’éditeur cherche à séduire le public mais aussi à amener l’industrie du bâtiment, encore très traditionaliste, à accepter l’architecture moderne. Après avoir été montrées sur papier, les maisons sont construites et meublées puis exposées à la visite du public avant d’être vendues. Les trois premières années, six maisons, numérotées comme des modèles automobiles, sont achevées ; environ 500 000 personnes visitent la première douzaine de maisons et les banques, d’habitude peu enclines à investir dans l’architecture moderne, commencent à accepter les prêts. Le programme perdurera jusqu’à 1967 avec vingt-six réalisation sur trente-six projets.
Situées entre Los Angeles, Long Beach, Thousand Oak, La Jolla, chaque Case Study House est unique en rapport à son terrain, aux recommandations de son commanditaire ou bien à la sensibilité de l’architecte qui l’a conçu. Mais il est tout de même possible de discerner de grands principes qui les rassemblent.
Les maisons sont construites pour la plupart selon la logique du plan libre : les façades ne sont pas porteuses. A l’inverse, une série de poteaux en acier, établis selon une trame rationnelle portent la toiture, toujours plate. La structure est visible, simple, et vise à être pédagogique : les familles qui vivent quotidiennement dans les villas sont supposées comprendre clairement comment leur cadre de vie est construit. L’utilisation de l’acier a un double intérêt : pousser l’architecture domestique à l’industrialisation et garder une maîtrise totale des détails de construction. En effet, tous les détails de l’ossature acier doivent être réglés au moment de la conception alors que l’ossature bois, type de structure le plus souvent utilisé à l’époque, peut être réglée en grande partie par le constructeur. Pour l’époque, ces maisons sont exceptionnellement technologiques, une technologie directement issue de l’industrie de la guerre : des plastiques rendent possible la construction de panneaux et des écrans translucides, l’amélioration de résines synthétiques permet d’étancher et de jointer des nouveaux panneaux de construction légers, de nouvelles colles de l’industrie aéronautique servent à créer des matériaux composites. On voit alors apparaître, en guise de remplissage des façades ou de partition entre différents espaces, des panneaux modulaires légers et parfois coulissants. Le mobilier aussi, est finement étudié ; élément flexible ou au contraire compacté au maximum, il permet toujours de dégager un maximum d’espace. La qualité des Case Study House est aussi liée au rapport à l’extérieur : tout tend à créer de la continuité entre le dedans et le dehors, qu’il s’agisse de grandes ouvertures du sol au plafond ou de la continuité des matériaux au sol ou sur les murs. Dans le paysage, la Case Study House, souvent repliée sur elle même, cherche à s’effacer, à se poser avec légèreté sur son terrain (peu d’excavations) et à s’étirer plutôt à l’horizontale. Et l’économie des maisons – un des points phares du programme établit par Entenza – est respectée grâce la rationalité de la construction et l’utilisation des ces matériaux industriels, peu coûteux dans cette période d’après-guerre.
« une certaine idée d’un style de vie californien »
Il suffit de faire défiler les photographies de Julius Shulman pour saisir l’art de vivre qui naît naturellement des Case Study Houses. Tout semble dédié au relâchement du corps, à sa liberté de déplacement dans l’espace, à la flexibilité des usages. Avec les baies vitrées, les panneaux coulissants, les cuisines ouvertes, des délimitations par le mobilier plutôt que par des portes, les Case Study House dénotent d’une intelligence architecturale bien supérieure aux maisons « traditionnelles » construites à l’époque, encore enfermées dans un carcan constructif, esthétique et des conventions domestiques asphyxiantes. Aujourd’hui encore, ces Case Study Houses transmettent une certaine idée d’un style de vie californien, solaire, coloré, confortable, technologique, que représentent certaines peintures de David Hockney.
Le pari d’Entenza était de provoquer chez le public une nouvelle exigence de qualité architecturale pour leur propre cadre de vie. Même s’il est difficile de juger de la portée du magazine sur la culture architecturale des clients américain de l’époque, une chose est sure : le programme a produit parmi les exemples les plus prestigieux et révélateur de l’architecture moderne d’après-guerre. Et si beaucoup de projets ne furent jamais construits, le Case Study House Program prouva grâce à son succès, qu’il était possible de construire des maisons économiques répondant parfaitement au désir de modernité. Construire un éden accessible à toutes les familles américaines.
Ps : si vous voulez visiter quelques Case Study Houses sans avoir à prendre un vol pour la Californie, voici plusieurs modélisations :
Case Study House 1 : Julius Ralph Davidsons
Case Study House 2 : Sumner Spaulding et John Rex
Moi aussi je veux de l'architecture de qualité !